forêt

Portrait de Yohan, lanceur d’alerte

Yohan Pelux est agent de l’Office national de la forêt (ONF) depuis 2007. Originaire du Morvan, il a suivi le parcours classique pour devenir forestier : d’abord un BEP, puis un BTA au lycée d’Étang-sur-Arroux suivi d’un BTS en gestion forestière à Besançon. Son diplôme en poche, il fait ses armes chez un gros forestier-pépiniériste privé de la région, mais cette première expérience professionnelle tourne court car il ne supporte pas la « philosophie » de la maison et donne sa démission. C’est alors qu’il intègre l’ONF. D’abord en poste à Dole dans le Jura, il a la possibilité, au bout de quelques années, de revenir dans le Morvan où il se voit confier la forêt domaniale de Saint-Prix en 2015.

Yohan est ce qu’on appelle un homme de terrain. Chaque jour, il arpente le massif de 1071 hectares, du matin jusqu’au soir. Ne lui parlez pas d’ordinateur portable ou de smartphone dernier cri, il n’en a pas. Ce qui l’intéresse, lui, ce sont les arbres, les arbres et encore les arbres. Son métier, il le connaît bien. Et quand il se rend compte que sa hiérarchie à l’ONF lui demande d’appliquer des décisions qui vont à l’encontre de tout ce qu’il a appris durant ses années de formation et de terrain, à l’encontre de la mission même de l’ONF de garant de la bonne gestion de la forêt publique, notre patrimoine à tous, Yohan commence à se rebiffer. Il s’oppose aux coupes rases, dénonce la surexploitation – voire le pillage – de la forêt ou encore l’intervention de forestiers privés dans la gestion des parcelles de l’ONF, expérimente la régénération naturelle.

Évidemment, tout cela n’est pas du goût de ses chefs qui, profitant du premier prétexte qui leur tombe sous la main, l’envoie en conseil de discipline et le « mette au placard »: concrètement, un déplacement d’office pour le renvoyer dans le Jura. Mais Yohan, sans doute en digne héritier du peuple gaulois qui vivait jadis sur les terres morvandelles, ne se laisse pas faire. Avec l’aide d’un avocat, il fait un recours contre sa sanction disciplinaire auprès du tribunal administratif, qui le déboute. Mais il ne baisse pas les bras pour autant et fait appel de cette décision auprès de la Cour d’Appel de Nancy. Son combat sera long et difficile. Il subit les foudres de l’ONF : contrôle fiscal, audition en gendarmerie à la suite de dénonciations calomnieuses, intimidation… Durant quatre années, il sera en congé de longue maladie avec un suivi psychiatrique hebdomadaire. Puis en décembre dernier, victoire! La Cour d’Appel de Nancy casse le jugement du tribunal administratif et ordonne sa réintégration. L’agent de 37 ans devait reprendre du service en mars dernier, mais sa hiérarchie refuse toujours de lui redonner son poste.

Cela n’empêche pas Yohan de se rendre sur le terrain et de constater les dégâts. Là, des ornières creusées par des opérations de débardage. « En pleine saison de pluie, c’était inévitable, mais apparemment ils s’en fichent », nous explique-t-il. Ici, une route défoncée parce qu’on a omis d’installer une barrière antigel lors du passage des camions. Là encore, une coupe qui a laissé trop d’espacement entre les épicéas. « Les arbres qui restent ne résisteront jamais au vent. D’ici la fin de l’année, ils seront tous par terre. Un vrai carnage », déplore le technicien forestier. Et ici, des racines abîmées par les engins. « On en verra les conséquences dans deux ou trois ans, l’arbre est condamné à une mort certaine ».

Yohan nous emmène ensuite près de l’étang de la Goulette. Il nous montre de vieux arbres malades laissés sur pied, alors qu’ils sont mûrs et auraient dû être récoltés. Au lieu de cela, on a préféré couper des épicéas de 30 ans, sains (et non scolytés), alors qu’ils vivent généralement entre 100 et 120 ans. « Ils font tout le contraire de ce qu’il faudrait faire. Ne me demandez pas le but de cette coupe, je n’ai pas la réponse », s’interroge le forestier. En bas de la piste, une zone Natura 2000 est censée protéger l’habitat des chauve-souris – ou ce qu’il en reste…

Enfin, cerise sur le gâteau, Yohan nous emmène au Haut-Folin, tout près du point culminant du massif du Morvan à 901 mètres, là où il fut un temps on avait projeté de bâtir une tour panoramique. Et là, c’est l’horreur. Nous avons beaucoup de mal à reconnaître l’endroit, malgré les panneaux touristiques. Une coupe rase a transformé ce site jadis touristique en véritable champ de bataille. À nouveau, un vrai carnage. Si elle n’était pas affligeante, cette vision ubuesque en serait presque risible : trois tables de pique-nique et un affichage didactique semblent faire de la résistance au beau milieu du paysage dévasté. Tout comme la coupe rase du Vieux-Dun, je doute fort que les promeneurs et touristes veuillent encore venir « admirer les beaux paysages du Morvan »!

« Un arrêté préfectoral oblige les propriétaires forestiers à abattre les épicéas atteints par le scolyte, mais sur le terrain, il n’y a aucun contrôle. Sur cette parcelle du Haut-Folin, ils ont aussi coupé des douglas », indique notre lanceur d’alerte. « Il faut savoir que l’ONF fixe des objectifs de récolte et que les responsables du territoire touchent des primes quand ces objectifs sont atteints, pouvant aller jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Les parcelles de Saint-Prix sont surexploitées. Il faut bien comprendre que la forêt est comme un château de cartes. Les prélèvements excessifs créent une trop grande distance entre les arbres. Tôt ou tard, le vent va les déraciner, même les plus grands. Sans oublier le stress hydrique dû au changement climatique ». Et de conclure : « Si on continue comme ça, dans vingt ans, y a plus de Morvan! »

Ci-gît le bois de Saint-Marc

La France est en guerre et la plupart des Français l’ignorent. Cette guerre n’a pas lieu à des milliers de kilomètres, en Syrie ou en Afghanistan, mais bien à l’intérieur de nos frontières, dans nos forêts. Pour l’heure, les victimes « ne sont que » des arbres mais au final, ce sont bien les humains qui en subiront les conséquences. En abattant nos forêts les unes après les autres, celles que l’on appelle le « poumon vert » de la planète, on ravage non seulement nos paysages, mais on détruit aussi nos écosystèmes, on élimine la capacité de séquestration du carbone par les arbres et, donc, on nous asphyxie.

J’exagère? Regardez donc ces photos et dites-moi si ce ne sont pas là de vrais champs de bataille et des scènes de guerre. Tout n’est que destruction, destruction, destruction.

Répondant à l’opération #Balancetacouperase lancée par l’association Adret Morvan, une habitante, que j’appellerais Camille pour préserver son anonymat, a signalé une toute nouvelle coupe rase, encore en cours au Vieux Dun, à la sortie de Dun-les-Places, au coeur du Parc naturel régional du Morvan. En me rendant sur les lieux, je n’ai pu que constater l’énormité du saccage.

Le bois de Saint-Marc, indiqué dans de nombreux sites de randonnée, faisait hier encore la joie des promeneurs. Outre ses paysages idylliques, il abritait un patrimoine historique et cultuel caractéristique du Morvan, autrefois terre des Éduens, peuple de la Gaule celtique. Le site se trouve, en effet, sur les vestiges d’un oppidum qui a donné son nom à la ville (Dunum signifie forteresse, colline). Deux fossés empierrés, dénommés « Petite Barre » et « Grande Barre », sont encore visibles. Il semble bien que le premier ait été sérieusement malmené par les engins forestiers.

Avant, la statue de Saint-Marc protégeait une source et un bassin gallo-romain aux eaux sacrées et présumées miraculeuses. On y venait en pèlerinage bien avant que le site ne soit christianisé. Il y a peu encore, le saint trônait au milieu d’un bois dense. Aujourd’hui, il semble atterré devant tant de désolation. Quant à la chapelle du même nom, chapelle privée dont le propriétaire semble avoir été bafoué dans ses droits, ses abords jadis plongés dans le vert ne sont plus qu’une vaste étendue dénudée.

Comment peut-on en arriver là? Jusqu’où ira l’inconscience crasse, pour ne pas dire le je-m’en-foutisme notoire uniquement motivé par l’appât du gain et la course au profit de ceux qui commettent de telles exactions et ceux qui les y autorisent?

La Région Bourgogne-Franche-Comté, le Département de la Nièvre, le Parc naturel régional du Morvan souhaitent-ils vraiment développer le tourisme comme ils le prônent? Permettez-moi d’en douter. Comment penser, en effet, que les touristes et les randonneurs voudront venir se promener parmi un tel carnage, marcher dans des chemins défoncés et truffés d’ornières qui arrivent jusqu’à la hanche, admirer un site chargé d’histoire et de tradition religieuse qui n’a de « remarquable » (selon la propre terminologie du Parc) que sa lamentable profanation? De plus, le site se trouve à proximité d’espaces naturels sensibles, la commune de Dun étant concernée par plusieurs Zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type I et II et sites Natura 2000. Sans oublier, pour les randonneurs, le GR13 qui croise non loin de là.

En attendant, Camille qui habite près de la parcelle saccagée sur 12 hectares avoue être « traumatisée ». La nuit suivant sa triste découverte, elle en a perdu le sommeil. « J’avais l’impression d’entendre les arbres hurler », raconte-t-elle. Camille qui réside ici depuis trois ans ajoute que sa première réaction a été de vouloir déménager. « Je suis aussi en colère contre la Municipalité qui a laissé détruire le chemin communal menant à la chapelle. Avant, les branches des arbres dessinaient des arcs au-dessus du chemin, c’était splendide. Maintenant, on ne voit que des branches cassées et laissées pendantes ».

Comme je le rappelais dans un billet précédent, la forêt a plus que jamais besoin de nous. Alors de grâce, avant que nos forêts ne disparaissent remplacées par des plantations d’arbres, ou des « champs d’arbres » comme les appelle le botaniste Francis Hallé, signez les pétitions, interpellez vos députés, rejoignez les rangs des associations qui militent pour la forêt (comme Adret Morvan) et la protection de l’environnement. Si vous ne le faites pas pour la forêt, faites-le au moins pour vous!

La forêt a besoin de vous!

© Régine Cavallaro

Installée dans le magnifique Parc naturel du Morvan depuis un an, l’ex-Parisienne que je suis n’en finit toujours pas de s’extasier devant les superbes paysages morvandiaux faits de bocages, de lacs, de collines et de forêts, devant son ciel spectaculairement étoilé (si étoilé qu’il pourrait bien décrocher le rare et prestigieux label « Réserve internationale de ciel étoilé ») ou encore de s’époumoner, ô luxe suprême, à respirer son air frais et pur. Ce que j’aime par-dessus tout, ce sont mes longues balades en forêt en compagnie de mes chiennes. Et la forêt morvandelle est riche et vaste : Pas moins de 122 000 hectares de feuillus et de résineux. Au XIXe siècle, c’est elle qui alimentait Paris en bois de chauffage.

© Régine Cavallaro

Mais voilà ! Il y a une ombre à ce tableau idyllique : l’exploitation industrielle de la forêt. Encore une fois, l’ex-citadine naïve que je suis découvre qu’en réalité les vastes étendues de pins ou d’épicéas que je traverse ne sont pas des forêts, mais des plantations. Et qui dit plantations dit aussi produits phytosanitaires et autres joyeusetés du genre. Vous croyez vous promener dans les bois et prendre un bon bol d’oxygène. Erreur ! Vous respirez un air probablement chargé, pour ne pas dire pollué. Vous n’entendez que le bruit de vos pas sur le chemin, car rien ne vit dans ces plantations. Pas un seul petit chant d’oiseau. Pas de danger non plus de croiser un sanglier. Biodiversité zéro. Rien que d’immenses pins qui n’auront pas la chance de dépasser quarante ans d’existence.

© Régine Cavallaro

Mais le pire, c’est lorsqu’au détour d’un chemin, vous tombez sur une coupe rase, aussi appelée coupe à blanc : une parcelle boisée entièrement rasée, ou plutôt massacrée non pas à la tronçonneuse, mais à l’abatteuse, un engin monstrueux qui coupe, ébranche et débite un arbre entier en moins d’une minute. Après son passage, il ne reste plus rien qu’un immense champ de guerre et de désolation, des souches arrachées et abandonnées ça et là, un sol totalement ravagé, tassé, écrasé, rendu stérile. Si stérile qu’il faudra justement avoir recours à quantités d’engrais chimiques pour lui redonner un semblant de vie et pouvoir y faire pousser à nouveau des arbres. Tout ceci est parfaitement expliqué dans les documentaires Le Temps des forêts réalisé par François–Xavier Drouet ou La forêt est à nous d’Anne Faisandier ou encore dans le livre Main basse sur nos forêts écrit par Gaspard d’Allens (éd. du Seuil). Je me souviens parfaitement de la première fois où j’ai découvert une des ces coupes rases. Un véritable choc. Là où je m’attendais à retrouver une jolie forêt toute en chênes, en hêtres et en frênes, je ne voyais qu’une terre saccagée et éventrée. J’en ai pleuré…

Heureusement, la résistance s’organise. Depuis quelque temps déjà, plusieurs associations alertent sur les dangers de l’exploitation industrielle et productiviste de la forêt et militent pour l’interdiction des coupes rases : Adret Morvan, SOS Forêt France ou Canopée pour en citer quelques-unes. D’autres, comme le Groupement forestier du Chat sauvage, se regroupent pour acheter en collectif des parcelles de forêts et empêcher ainsi leur enrésinement. Les agents de l’ONF, l’organisme censé préserver les forêts domaniales, notre patrimoine à tous, tentent de se rebeller contre les opérations de privatisation et de démantèlement menées à la fois par leur direction et le gouvernement. Certains médias comme Reporterre consacrent des dossiers au sujet.

© Régine Cavallaro

À l’heure du réchauffement climatique, alors que nous sommes d’ores et déjà confrontés aux catastrophes qu’il provoque, nous avons plus que jamais besoin de la forêt pour l’eau et l’oxygène qu’elle génère, le carbone qu’elle neutralise, le sentiment de bien-être qu’elle nous procure, sans oublier la beauté et la poésie qui s’en dégagent. Alors signez les pétitions, interpellez vos députés, soutenez les associations, militez ! De grâce, sauvons la forêt tant qu’il en est encore temps !

© Régine Cavallaro
Je ne suis pas particulièrement pro-Mélenchon, mais il a au moins le mérite d’être venu dans le Morvan pour s’informer et, espérons, agir. Comme quoi, la déforestation, ce n’est pas qu’en Amazonie, c’est aussi en France!